• Conte biscornu mais non point fol

    Il y avait une fois, au village de la Ravoire, près de Challes, un petit enfant affligé d’une bosse. Ses camarades se moquaient de lui. Ses parents en avaient honte. Il grandit ainsi, sans affection, molesté, repoussé.

    Or, sa figure était gracieuse et la méchanceté des autres n’avait pas altéré sa bonté native.

    Cequi fit que, peu à peu, l’on s’habitua à sa difformité. Oh ! Je ne veux pas dire qu’on lui épargnait absolument ces plaisanteries qui semblent s’enfoncer dans les chairs de ceux qui en sont victimes. Mais on cessa de le traiter en paria. Il comptait parmi les invités des noces, des baptêmes, des repas d’enterrement. Aux vogues de printemps et d’automne, il se mêlait à la bande joyeuse qui s’égaillait entre les boutiques de toile ou devant un tir forain. Car la vogue, en Savoie, correspond à ce qui s’appellerait à Paris une fête de quartier.

    Tant et si bien qu’il en arriva lui-même à oublier sa triste condition.

      

    Un jour, il pensa qu’il pourrait à son tour se marier et avoir de beaux enfants.

    Pour tout dire, cette idée lui vint à cause de la Daude. La Daude était une accorte fille de ferme abattant la besogne de dix hommes, ce qui ne l’empêchait pas d’apparaître le dimanche, à la messe, aussi nette et parée que la damouesella du château.

    Elle devait être bonne, en sus, car elle était la seule qui n’eût jamais ri de l’infirme.

     

     

    Costume traditionnel de Savoie.

    Il faut croire qu’elle fut la seule, aussi, à juger que les qualités de coeur pouvaient valoir davantage que les attraits physiques puisqu’elle ne s’esclaffa pas quand il lui demanda d’être sa femme. Au contraire, ce projet sembla lui sourire. Elle n’eut qu’une objection :

    - Ce serait marier misère et pauvreté ! dit-elle, hochant la tête.

    - Nous travaillerons, ma Daude ! Je suis fort, malgré, malgré ...

    D’un regard craintif, il désignait, par dessus son épaule, le fardeau que lui avait imposé la nature.

    - Oh ! moi aussi je suis forte ! revendiqua-t-elle, et je t’aime bien, vois-tu, malgré... malgré...

    A son tour elle s’arrêta, hésitant à prononcer ce mot de « bosse »...

    - On dit que le Thomas veut t’avoir.

    Elle eut une moue dédaigneuse. Pourtant, le Thomas était le fils de ses maîtres. Qu’il l’épousât et, de servante, elle devenait patronne.

    Plutôt que d’accorder sa main au riche Thomas paresseux, elle aimerait mieux se brûler la main !

    A cette déclaration, son soupirant crut voir s’ouvrir le paradis.

    Mais la Daude en revenait à son idée, qui était leur commune indigence.

    Elle a raison, pensa notre ami, je n’ai pas même dequoi lui offrir sa « ferrure ». La « ferrure » d’une fiancée savoyarde consiste en un beau bijou d’or et en un modeste bijou d’argent. Le bijou d’or, c’est la croix et le coeur que retient au cou un ruban de velours. Le bijou d’argent, c’est un simple anneau.

    Comment avait-il osé lever les yeux sur la Daude sans être en mesure de la ferrer ?

    Il décida de se procurer l’argent de ces premiers frais.

     

    - Père, j’ai besoin de trois écus ! demanda-t-il quelques instants après.

    Mais son père était plus avare encore que brutal et mauvais.

    -Trois écus ! cria-t-il. Un avorton comme toi n’a que faire de trois écus !

    -C’est pour me marier, mon Père ?

    - Ah ! Ah ! Ah ! Te marier ? M’est avis que pour prendre femme y t’faudrait plus de trois cents fois cent écus !

    - C’est c’qui vous trompe, mon Père. J’ai trouvé femme et j’ai besoin de trois écus seulement ...

    - Va-t’en voir à Saint-Sorlin s’ils y sont !

    C’était une façon de se débarasser du pauvre garçon. Celui-ci, qui était candide, ne l’entendit pas ainsi. Il se rendit à Saint-Sorlin.

     

    Mais il chercha vainement à s’y louer. Son air suppliant ajoutait à sa piètre mine. Personne ne s’avisa qu’un tel gringalet pourrait être vigoureux serviteur. Il s’en retournait, la mort dans l’âme, quand un vieillard barbu l’interpella et lui demanda la cause de son souci. L’autre lui en fit aussitôt confidence.

    - Donne-moi ta bosse ! dit alors le barbu, et moi je te donnerai trois écus.

    Vous imaginez avec quel empressement l’amoureux de la Daude se prêta à l’opération qui, d’ailleurs, ne fut pas douloureuse. La peau qui recouvrait cette gibbosité était si mince que le singulier acheteur eut tôt fait d’en prendre possession.

    Eh bien ! Le croirez-vous ? La bosse était un bloc d’or !

     

    3.gif

     

    C’est qu’il ne faut pas se défaire

    Du lot que, sur terre, on a reçu

    Turlututaine

    Du lot que, sur terre, on a reçu

    Turlututu ...

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  • Commentaires

    3
    Philéa
    Vendredi 13 Juillet 2012 à 17:10
    Philéa

    Oh! purée en voilà un qui n'avait vraiment pas de chance...lol!

    2
    Lundi 28 Février 2011 à 18:30
    Martine27

    A-t'il au moins été heureux avec sa Daude ?

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    1
    Lundi 28 Février 2011 à 08:07
    Oo° Kri °oO

    Accepter tout ce que la nature nous donne et on sera récompensé

    Bon conte et belle morale!

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