• La fée de l'Albarine ( 1 )

    Au temps jadis, les rivières couraient à leur gré et l’Albarine, rivière libre et sauvage s’il en fût, permettait aux montagnes rocheuses qu’elle traversait, dans une étroite vallée, de se refléter dans ses eaux limpides, et aux truites, anguilles et écrevisses de se multiplier.

    Or, les hommes imaginèrent barques, ponts et autres engins et l’Albarine, pleine d’orgueil, eût tôt fait de les jeter à bas. Ce fut comme une sorte de défi ...

    Cependant, Jean Guerne, de Torcieu, fort comme un taureau et hardi comme un moineau, s’en soucia si peu qu’il décida, un beau matin, d’installer une traille à l’usage des gens du pays. Il planta donc dans la rivière deux gros piliers, qu’il réunit par une corde, puis il amena une barque et invita hommes, femmes et enfants à passer l’Albarine ...

    Les habitants de Torcieu, comme ceux de Saint-Rambert et d’Ambérieu, commencèrent à hésiter, redoutant les caprices de la rivière et de sa fée protectrice qui, le soir, apparaissait parfois à ceux qui s’égaraient sur ses rivages. Puis certains s’enhardirent à monter dans la barque. Tout allait à merveille. Jean Guerne se frottait les mains. Par malheur, il existait encore beaucoup de personnes qui avaient ouï dire à leur grand-mère l’histoire que voici :

     

    Chaley

     

    Un soir de vogue où le vin du pays avait coulé en abondance, une dizaine de garçons rentraient à Torcieu en chantant. Il était très tard, et les gens sérieux avaient depuis longtemps regagné leur maison. Eux, après avoir beaucoup dansé, commençaient à tomber dans une sorte de somnolence et, pour marcher droit et ne point rêver, ils se donnaient le bras et tenaient ainsi toute la longueur du chemin.

    La nuit étalait de multiples étoiles et c’était plaisir que de marcher ainsi, auprès de l’Albarine, de ses prairies et de ses arbres.

    A la sortie des Balmettes et en vue du château de Saint Germain, minuit sonna au clocher d’Ambérieu.

    Nos garçons, en riant, comptèrent les coups, et au dernier, l’un d’eux se retourna et tressaillit. Il venait de voir, à cent mètres de lui, une jeune fille vêtue de blanc qui, d’un pas léger, avait l’air de les suivre, semblant plutôt glisser que marcher. Ses longs cheveux flottaient au vent.

    Troublé, il toucha le bras de ses camarades, qui se retournèrent. Et, malgré leur force, l’habitude qu’ils avaient de courir bois et loups, ils éprouvèrent une surprise si grande - presque une peur - qu’ils s’arrêtèrent.

    Elle s’arrêta en même temps. Elle aussi, avait-elle peur ?

    Ils reprirent courage, lui sourirent, et lui demandèrent à mi-voix :

    - Qui êtes-vous ?

    - D’où venez-vous ?

    - Sommes-nous des connaissances ?

    Et comme elle ne répondait pas, ils s’approchèrent d’elle.

    Au premier pas, elle recula vivement. Donc, pensèrent-ils, c’était elle qui était effrayée.

    Dix garçons, forts comme des Turcs, qu’avaient-ils à redouter, je vous le demande ?

    Pourtant, ils hésitaient. Si elle avait été une simple paysanne, ils lui auraient offert, à la bonne franquette, de faire route avec eux, mais le moyen de faire quelques avances à ... à qui, au juste ? songeaient-ils en se regardant.

    - Une demoiselle d’Ambérieu, dit tout haut un grand gaillard.

    - Seule, à cette heure ? Non, ce n’est pas possible.

    - Une dame de Lyon, alors, avança un autre. Elle va prendre la voiture du matin, au Lion d’or.

    - Ce ne doit pas être une vraie dame, déclara un futé, je veux dire une dame comme il faut.

    - Tu as raison, répondirent-ils tous en choeur.

    - Alors, je vais lui parler, reprit le futé.

    - Je t’accompagne, dit un autre.

    Et tous deux prirent le pas de course, mais la jeune fille immobile, dès qu’ils furent près d’elle, s’éloigna, comme la première fois, aussi légère qu’un oiseau et sans montrer la moindre gêne.

    En voyant avec quelle facilité elle maintenait ses distances, nos deux audacieux s’arrêtèrent et se dirent :

    - Nous la rattraperons vers le pré.

    Et ils rejoignirent leurs camarades.

    Ils reprirent en chantant le chemin d’Ambérieu.

    Quand ils furent entre des vignobles et une prairie assez vaste que fermait l’Albarine, un rapide coup d’oeil leur apprit que le piège avait réussi. L’inconnue les suivait, insouciante, et s’était même rapprochée, sans prévoir le danger qu’elle courait.

    Tout à coup, les deux plus lestes s’élancèrent dans le buisson qui séparait les vignes du chemin. Pliés en deux, invisibles, ils coururent du côté de Saint-Rambert et, arrivés à l’extrémité du vignoble, débouchèrent sur la route : ils avaient ainsi coupé la retraite de la jeune fille de ce côté-là.

    Les autres avaient couru à l’autre extrémité de la prairie, du côté opposé, cest-à-dire du côté d’Ambérieu; là aussi, toute fuite était impossible, on ne pouvait plus passer.

    Aussitôt, la troupe s’arrêta, fit volte-face et, se déployant en demi-cercle, se précipita vers l’inconnue pour l’envelopper. La manoeuvre était parfaitement réussie.

    Elle, sansse presser, se détourna du chemin, traversa légèrement un buisson au plus épais des épines, alla dans la prairie et s’engagea sous les noyers et les saules, avec le calme et la sérénité d’une reine qui se promène dans son parc.

    Intrigués, stupéfaits, nos garçons la suivirent, élargissant leur cercle, bouchant toutes les issues et, maîtres des lieux, se rapprochèrent d’elle en poussant de grands cris.

    Elle était perdue sans retour : la rivière, à cet endroit, était large et profonde. Elle n’avait donc aucun espoir de s’échapper. Déjà, les mains s’avançaient pour la saisir, déjà des cris de triomphe s’élevaient quand les petits pieds, qui glissaient si légèrement sur l’herbe, quittèrent le rivage, s’avancèrent sur les flots, brillants, et marchèrent sur les eaux, avec la même facilité que sur le chemin.

    Arrivée au milieu du gouffre, elle se retourna vers les jeunes gens, ahuris, épouvantés, leur fit un geste de menaceou de moquerie, secoua ses longs cheveux et, lentement, glissa sur l’onde. Elle était chez elle ... dans son élément.

    - C’est la fée de l’Albarine, dit l’un.

    - Oui, dit un autre, la Dame blanche du pays ...

    De quoi les avait-elle donc menacés ?

    Tremblants, ils reprirent la route, traversèrent Ambérieu dans un silence angoissé. Là, ils se jurèrent de ne jamais dévoiler leur aventure sous peine de se couvrir de ridicule.

    Maisle lendemain, ils ne purent se lever. Tous avaient la fièvre, et divaguaient, ne reconnaissant même pas les membres de leur famille. Aucun n’osa révéler la cause de leur maladie.

    Ce fut longtemps après que le mystère s’éclaircit : en reliant entre elles le paroles prononcées pendant leur délire, des mères de nos garçons comprirent que la fée de l’Albarine leur avait joué un tour à sa façon.

    Un méchant tour, rappelez-vous ? Et les bonnes gens se rappelaient et se figuraient que la fée allait recommencer : il n’en fut rien pendant longtemps.

     

    100 1823

     

    La suite demain.

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  • Commentaires

    7
    Vendredi 27 Mai 2011 à 09:58
    Martine27

    Bien fait, il ne fallait pas essayer de s'attaquer à quelqu'un que l'on pensait sans défense

    6
    Jeudi 26 Mai 2011 à 17:24
    Laure

    Superbe j'adore, je vais vite lire la suite

    et tes photos sont magnifiques, endroit magique !!!

    Nathie

    5
    Jeudi 26 Mai 2011 à 15:46
    yg86au fil des jours

    C'est une belle histoire.
    J'aime beaucoup la dernière photo.

    Bisous. Bon après-midi

    4
    Jeudi 26 Mai 2011 à 14:43
    Lilwenna

    j'adore les histoires de fées ! je vais de suite lire la suite

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    3
    Jeudi 26 Mai 2011 à 14:01
    talant en mode ralen

    Bien jolie cette photo et me suis " évadée" ..merci à toi..belle journée 

    @++

    2
    Mercredi 25 Mai 2011 à 20:21
    Anne d'AMICO

    Alléchant comme début!! J'aime les histoires de fées....

    Gros bisous Nathie!

    1
    Mercredi 25 Mai 2011 à 18:42
    ZAZA

    C'est un très joli début de conte, vite demain pour la suite. Bises et bonne soirée

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