• Le pont de la Dangereuse

     

    Par un soir d’octobre que l’on peut situer au XVème comme au XVIème siècle, Dom Germain, prieur de l’abbaye de Saint-Sulpice, en Valromey, revenait de Machuraz, où il avait présidé les joyeuses cérémonies des vendanges. En compagnie de frère Pancrace, l’économe du lieu, et des vignerons du pays, heureux d’accueillir le bon père, si aimable et si charitable, il avait goûté le vin nouveau, et même le plus ancien.

     

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    Château de Machuraz, sur la commune de Vieu, ( XVI ème siècle, restauré au XIXème siècle ), sa tour ronde domine l'entrée du village d’Artemare quand on arrive par l'ouest. Son vignoble développé par l'abbaye de Saint-Sulpice fournissait un des vins réputés du Bugey.

     

     

     

     

    La route était longue, de Machuraz à l’abbaye de Saint-Sulpice, mais le révérend religieux, bien qu’il fût déjà tard, ne se pressait pas outre mesure. Chevauchant sa mule au trot régulier, dodelinant de la tête et souriant aux premières étoiles, il songeait à la bonne journée qu’il venait de passer parmi les braves vignerons, aux excellents vins qu’ils produisaient, et il admirait les derniers reflets d’un magnifique coucher de soleil.

     

    Puis, la fraîcheur de la brise du soir, l’odeur âcre des sapinières le firent sortir de sa légère torpeur. Il entonna une vieille chanson bugiste dont les couplets évoquaient les loups et les bergères. C’était peut-être pour se tenir bien éveillé, et, par la même occasion, encourager sa mule à gravir plus vivement le chemin rocailleux où ses sabots ferrés retentissaient en faisant jaillir des étincelles. C’était peut-être aussi pour se rafermir le coeur et l’esprit, à l’approche du   " Pas de la Dangereuse ".

     

    L’endroit était redoutable. Au fond d’une gorge aux parois à pic, très étroite et profonde, que le Groin et le ruisseau d’Arvières réunis avaient sciée pendant des milliers de siècle, mugissait une eau furieuse et cascadante. Mais le pire, c’était que ce passage, déjà périlleux par lui-même, servait de point d’embuscade aux bandits qui se cachaient alentour pour agresser les voyageurs et les dévaliser. Et si l’un d’eux se montrait un peu trop récalcitrant pour livrer sa bourse, les détrousseurs l’approchaient du gouffre en le menaçant de le précipiter dedans; et les écus pleuvaient alors comme par miracle.

     

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    Impressionnante brèche étroite de plus de 50 m de profondeur creusée dans le calcaire par les eaux tumultueuses du Groin et de l'Arvière.

     

    Voilà pourquoi Dom Germain ne devait pas se sentir des plus rassurés, lui qui rapportait à l’abbaye le produit des dîmes versées par les vignerons de Machuraz. Aussi, lorsque, dans un rayon de lune, il distingua l’oratoire de Notre-Dame-du- Peurpre, placé en cet endroit sinistre, il voulut réciter quelque oraison. Mais il avait à peine ébauché le signe de croix que sa mule s’arrêta soudain, les oreilles dressées.

    

    Déjà le prieur aperçoit des lueurs qui s’agitent auprès de la chapelle, déjà il distingue des bruits d’armes et de voix, déjà des pas résonnent sur le chemin, derrière lui. Impossible de fuir : le gouffre est à gauche, les rochers à droite, devant et derrière, le passage est tenu par les brigands, dont il entend les pas se rapprocher.

    

    Que faire ? Le moine ne doute pas un instant de la protection de Dieu et des bienheureux. Il se signe et fait un voeu à saint Germain, son patron, et tourne la tête de la mule vers le précipice. Peut-être inspirée, elle aussi, par le ciel, la bête recule, prend son élan, et hop ! d’un bond vraiment miraculeux, elle saute par-dessus la Dangereuse avec son cavalier.

     

    Jamais on n’avait entendu parler d’un tel exploit. Aussi, deux heures plus tard, tous les moines de Saint-Sulpice, au début des matines, entonnaient un énergique et fervent Magnificat, tandis que, " au seuil de l’église illuminée comme pour une nuit de Noël ", un frère convers tenait la brave mule par la bride.

    Dom Germain ne tarda pas à exécuter son voeu, qui consistait à faire construire un pont sur l’abîme, " à l’endroit même du prodige ". En signe de reconnaissance, il voulut qu’une statuette de saint Germain fût placée sous une arche. De plus,une pierre de l’un des parapets s’orna des armes de l’abbaye, gravées dans " une guirlande de fers de mule ".

     

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    100 1173 Le pont du Diable.

     

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    Gouffre du diable à la sortie de Don sur la D30b en direction de Champagne-en-Valromey.

     

    L’ouvrage prit le nom de " Pont-de-Saint-Germain ", puis, sans doute à cause des attentats qui continuèrent de se produire à ses abords, celui de " Pont-du-Diable ". Avec le temps, on finit par croire que toute cette histoire relevait du domaine de la légende. Pourtant, l’abbé Agniel, qui fut curé de Vieu pendant cinquante-cinq ans, voulut un jour tenter de découvrir ce qu’il pouvait y avoir de vrai dans cette tradition.  Et René Bazin, dans " Le registre d’un curé ", paru dans "Les débats " du 8 septembre 1901, écrivait, à propos de l’abbé Agniel : " On l’assit dans un fauteuil de paille, on le descendit, au bout d’une corde, jusqu’au-dessous du pont de la Dangereuse, et là, il découvrit une niche et, dans la niche, une statuette de saint Germain, patron du prieur. Sur la terre ferme, il fit une autre découverte, celle d’une pierre sculptée aux armoiries de l’abbaye et qui portait autour de l’écusson une guirlande de fers de mule ".

    

    

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  • Commentaires

    8
    Mardi 31 Janvier 2012 à 07:46
    ZAZA

    De celle-là je m'en souvenais Nathie...!!!

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    7
    Mardi 28 Juin 2011 à 20:19
    Martine

    Bonsoir Nathie,

     

    Merci pour cette belle histoire. Un conte ou un film . J'aime

    Belle soirée

    Martine

    6
    Mercredi 20 Avril 2011 à 11:50
    Sherry

    merci pour la découverte et l'histoire qui va avec.. le diable possède beaucoup de ponts, de goufres et de routes.. il est parrtout ! merci d'avoir publié dans la communauté

    5
    Lundi 18 Avril 2011 à 17:00
    pasteline

    j'adore! tout simplement...

    belle journée

    4
    Dimanche 17 Avril 2011 à 08:09
    virjaja

    j'adore ces histoire! c'est très beau cet endroit!!!

    3
    Samedi 16 Avril 2011 à 09:37
    ZAZA

    Très belle histoire NATHIE. Bises et bon Samedi.

    2
    Vendredi 15 Avril 2011 à 17:31
    le Pierrot

    Bonjour nathie, belle région, et super ce château, trop beau, c'est à toi ? hi hi... je t'embrasse, et te souhaite une bonne fin d'après midi...

    1
    Vendredi 15 Avril 2011 à 17:03
    Martine27

    Quant on dit qu'il n'y a que la foi qui sauve !

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