• Caracolant par la belle campagne sabaudienne, Jehan se dirigea droit vers la plus proche grotte des fées.

    De l’extérieur, c’était une grotte comme les autres.

    Mais l’adolescent savait qu’il ne se trompait pas. Ayant attaché son cheval à une anfractuosité du rocher, il pénétra sous la voûte de granit. Puis, il frappa doucement dans ses mains en prononçant les paroles que lui avait apprises sa vieille nourrice et qui signifiaient que l’on avait affaire à un ami. ( Je voudrais bien vous les répéter à mon tour. Hélas ! nous en avons perdu la formule. Je ne connais personne de nos jours qui soit capable de parlementer avec les fées ).

    Jehan n’attendit pas longtemps. Presque aussitôt, un elfe se présenta, qui était au service des fées.

     

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    Cher lecteur, avez-vous déjà rencontré un elfe ? Sans doute ! Mais peut-être l’avez-vous pris pour le reflet irisé d’une aile de libellule, pour la trace brillante d’une goutte de rosée ? Peut-être avez-vous, sans le vouloir, écrasé des elfes se balançant sur un brin d’herbe ? Le page du seigneur de Duingt, lui, ne pouvait faire pareille erreur. Etant enfant, il avait souvent joué avec les gracieux esprits des prairies. Il tint donc tout de suite à celui-là le langage qui convenait. Un langage également perdu pour nous, mais qu’il nous est permis de traduire selon le récit des Anciens :

    - Au nom de Haut et Puissant Seigneur de Duingt, je viens solliciter l’aide de Mesdames les Fées.

    - Allobrogine, notre Princesse, est justement en ses appartements. Suivez-moi, beau chevalier.

    Et le guide minuscule appuya sur une aspérité, presque imperceptible, de la voûte. Le rocher s’ouvrit, ses deux côtés s’écartant comme deux portes à glissières, qui se refermèrent derrière eux hermétiquement. Ils avaient pénétré dans un hall de bonnes dimensions dont les murs étaient de diamant, le plafond de turquoise et d’or. L’on n’y voyait nulle ouverture, cependant il y faisait grand jour. Sur le sol, s’étendait un tapis, frais et parfumé comme s’il eût été en duvet de fleurs.

    Sur le hall s’ouvrait une salle aux parois creusées d’alvéoles à peine plus grands que des alvéoles de ruches. Dans ces alvéoles, les fées de la classe laborieuse, toutes petites, s’affairaient à leurs tâches quotidiennes. Elles ne levèrent pas même la tête pour examiner le nouveau venu. Les unes broyaient les couleurs que d’autres, les artistes, iraient étendre, le lendemain, sur le calice des gentianes, des coquelicots, des primevères, des boutons d’or. Elles se servaient de mortiers qui ressemblaient à des cupules de glands en réduction. Celles-ci tissaient des filets en fil de la Vierge que l’on jetterait, à l’aurore, sur les prairies. Celles-là surbrodaient l’impalpable panache que secoueraient, à l’aurore, les torrents.

     

    Toujours conduit par l’elfe chambellan, le visiteur franchissait le seuil d’une troisième pièce dans laquelle se tenait Allobrogine, princesse de ces lieux.

     

     

    Reposant sur des coussins de nuages roses, elle avait la taille d’une femme moyenne. Mais elle était si belle que notre damoiseau en trembla de la tête aux pieds bien qu’il eût le coeur tout plein d’un seul amour.

     

    Il ne s’aperçut même pas tout de suite que la radieuse souveraine était entourée d’une vingtaine d’autres fées, plus petites mais presque aussi belles.

     

    - Que veux-tu, gentil garçon ? interrogea la Princesse des fées, redressant le buste. Parle sans crainte. Je sais que mon peuple n’eut jamais à souffrir par toi. On m’a rapporté avec quel soin tu évitais de fouler le sol où nos morts sont ensevelis.

     

    Elle faisait allusion à ces infimes tertres disposés par rangs parallèles que l’on voit, en haute montagne, aux croisées des chemins et qui sont les tombeaux des fées. Il était vrai que le page eût préféré courir le risque de glisser à l’abîme plutôt que d’y poser les pieds.

    - Parle ! répétait son interlocutrice. Que souhaites-tu de nous ?

    Il exposa les faits. Allobrogine l’écouta pensivement, puis déclara :

    - Le Seigneur de Duingt n’est pas, comme toi, de nos amis. Si j’en crois les langues, il irait même jusqu’à mettre en doute notre existence.

    - Madame !

    - Si ! Si ! Je le tiens de personnes dignes de foi.

    - Excusez-moi, mais ma démarche leur donne un démenti.

    - Que non ! assura l’immatérielle créature. Ta démarche prouve seulement qu’il désire beaucoup qu’on lui construise un pont. Tu lui as proposé notre concours. Il a accepté. Mais à la façon des sceptiques en se disant : «On verra, je ne serai pas moins avancé après qu’avant».

    Le visage du page se rembrunissait.

    S’il n’obtenait l’aide qu’il venait solliciter, quand reverrait-il les tresses blondes d’Ancilie ?

    Résolument, il avoua son idylle avec la nièce du Seigneur de Talloires et la Fée sourit:

    - Je le savais ! dit-elle. L’un de mes elfes a surpris, un soir, vos tendres adieux.

    Le page amoureux sentit la partie gagnée.

    En effet, la Fée promit que le pont, d’une rive à l’autre, serait élevé par l’industrie de ses spécialistes.

    - Tu as pu te rendre compte, en pénétrant dans mon palais, de l’art et de l’adresse qu’elles pouvaient déployer en matière de construction. Annonce à ton seigneur qu’il aura son pont.

    - Il vous en sera reconnaissant à jamais, Madame !

    - N’engageons pas l’avenir ! répliqua la Fée. Le coeur des hommes varie plus que l’air du temps. Je ne demande au baron Jacques qu’une chose pour prix de notre travail, une chose assez facile. Nous manquons de beurre, figure-toi, et nous en sommes friandes. Les paysans qui nous entourent sont rudes. Ils nous bousculent sans y penser quand nous nous approchons de leurs barattes. Le sel, aussi, nous fait défaut. Que ton seigneur nous pourvoie en beurre et en sel tant que durera la construction du pont. Tu peux lui dire que l’ouvrage sera terminé avant la troisième lune.

     

    La suite bientôt.

     

     


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  • Annecy

     

     

     

    Vous connaissez le village de Duingt, sur les bords du beau lac d’Annecy ? En face de Duingt, sur la rive opposée du lac, donc, s’élève Talloires.

    Jadis, le baron Jacques III, Seigneur de Duingt, fastueux seigneur comme tous ceux de Savoie, donnait en son château des fêtes splendides et y conviait son vis-à-vis le seigneur de Talloires.

    Puis, tout changea. Un deuil affreux étreignait le coeur de Jacques III. Le lac lui avait ravi sa fille un jour que, malgré la tempête menaçante, elle avait voulu faire une promenade en barque. La barque s’était retournée. Les flots avaient englouti la belle téméraire.

    En proie au désespoir, le baron fit serment de ne jamais plus voguer sur ces eaux qui étaient la tombe mouvante de son enfant bien-aimée.

    Tous les gens de sa cour, réglant leur conduite sur celle du Maître, l’imitèrent. Du plus noble d’entre eux au dernier des serviteurs, vous n’en eussiez décidé aucun à s’aventurer sur le lac.

    Il en résulta une grande gêne. Auparavant, il était facile de se rendre d’une rive à l’autre, ne fût-ce que pour une visite au seigneur de Talloires. Maintenant, il fallait contourner le lac et c’était toute une affaire.

    - Que n’édifiez-vous pas un pont ? suggéra, à son seigneur, un beau page ingénieux, qui avait nom Jehan.

    L’idée était bonne. Son exécution s’avérait plus compliquée. Un pont ! Le baron savait qu’il en existait de par le monde mais qui étaient l’oeuvre du diable. Il ne voulait pas d’un tel architecte !

    - Adressez-vous aux fées, Monseigneur ! dit le même page qui semblait fort désireux que l’accès chez les voisins d’en face redevînt aisé.

    Serait-il vrai qu’il courtisât la belle Ancilie, nièce du seigneur de Talloires ?

    Le baron devait en savoir quelque chose car il sourit finement, prévoyant que Jehan l’aiderait, de toute son habilité - qui était grande - à négocier avec les fées. Il accepta que le page se rendît en ambassadeur auprès de ces petites personnes - si charmantes pour qui sait gagner leur amitié.

     

    La suite demain.

     

     


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  • Le dîner fut suivi d'un bal. Il eut lieu dans la même salle, dont les tables disparurent on ne sait comment tandis que les colonnades et leurs statues qui chantaient se mirent à tournoyer sur place.

     

    Le regard de Jean-Marie chercha celui de la princesse. Oserait-il l'inviter ? Il lui sembla qu'elle l'y engageait d'un sourire. Il se précipita.

     

    Au rythme de l'invible orchestre qui n'avait cessé de répandre ses suaves symphonies, leur couple, tout de grâce et de jeunesse, glissa, parmi d'autres. Mais Jean-Marie, bien vite, eut la sensation qu'ils étaient seuls dans cet univers paradisiaque. Sa bouche prononça les mots qui lui montaient du coeur et la Princesse, point du tout choquée de son aveu, s'abandonna mieux aux bras qui la pressaient. Il vit ses lèvres frémir. Elle allait parler, lui rendre son tendre secret.

     

    Las ! D'émotion, il se prit le pied dans la traîne d'Isold et tomba sous les rires moqueurs de l'assistance.

     

     

    Le soleil était haut, déjà, dans le ciel, quand Jean-Marie revint à lui, le nez sur son fagot, ses vieux membres endoloris par la chute qu'il avait faite, la veille, sur le sentier noyé d'ombre.

     

    Forêt d'Arbignieu

     

    FIN


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  • Le festin était servi dans la pièce voisine dont les murs étaient de cristal de roche. De nombreuses dames y assistaient parmi les seigneurs chamarrés. Mais quoiqu'elles fussent toutes jeunes et belles aucune ne détourna l'attention de Jean-Marie. Il ne voyait qu'Isold assise à la table dont il occupait l'un des bouts. Il mangeait des chairs succulentes, buvait des vins doux et brûlants sans y trouver de goût. On lui eût coupé le doigt qu'il ne s'en fût pas rendu compte. Son être tout entier était accaparé par Isold. De son côté, la fille du Roi ne dédaignait pas de laisser son beau regard s'unir au regard adorant du gracieux damoiseau.

     

    Jean-Marie trembla de son audace. Comment osait-il lever les yeux sur une princesse que l'on disait fiancée au roi des Burgondes ? Il s'efforçait de s'intéresser à ses voisines empressées de lui plaire. Mais il crut s'apercevoir qu'Isold fronçait les sourcils et qu'elle fut un moment tête baissée au-dessus de son assiette d'or.

     

    Cependant, à un geste du Roi, les valets effleurèrent les quatre angles de la vaste pièce. Tout aussitôt une musique extraordinaire se fit entendre où l'oreille exercée du montagnard discerna le grondement des torrents, le souple friselis des sources, la mélopée des pins sous le vent d'hiver, le froissement des gentianes et des cyclamens, sous les brises d'été. Ce fut assez étrange pour le tirer de son amoureuse rêverie. Il voulut savoir d'où venaient ces sons dont il n'aurait jamais supposé qu'ils pussent ainsi se confondre pour le ravissement des sens. La belle dame qui était à sa droite parut heureuse qu'il lui adressât la parole mais très étonnée de sa question :

     

    Gorges de Thurignin

     

    - Comment ? s'écria-t-elle. Vous ne savez pas que les architectes qui ont construit ce palais l'ont fait de telle sorte qu'il suffit d'un déclic pour aller capter au fond des airs les ondes qui s'y reposent et celles qui s'y agitent au moment même ? A son gré, notre Roi peut, en hiver, réveiller et retenir le souffle léger des zéphirs d'août, en été, évoquer la monotone tombée des neiges.

     

    - Mais ces musiques, si différentes, quel compositeur les harmonisa, quel invisible chef d'orchestre les dirige ?

    La belle dame sourit en désignant les murs de cristal.

     

    - Regardez mieux ! dit-elle. Ecoutez mieux ! Vous vous rendrez compte que les sons frappant, comme un clavier, l'immense coupe de verre où nous nous trouvons, y forment les gammes inouïes qui vous émerveillent. Mais, dit-elle, je suppose que le vent soufflait fort ce soir sur la montagne ?

     

    - Très fort, Madame.

     

    Innimont ( col du Petit Perthuis )

     

    - Eh bien ! Examinez les cariatides qui supportent  le plafond.

     

    Jean-Marie ne se le fit pas répéter. Il contempla, d'un oeil avide, les douzaines de colonnes de porphyre qui montaient jusqu'au plafond de turquoises et de lapis-lazuli. Elles se terminaient par des bustes de femmes qui, de leurs bras en corbeille, soutenaient cette voûte aux teintes bleues de lac. La bouche des statues était entr'ouverte. Et voilà qu'il en sortit une mélodie en comparaison de laquelle celle des sirènes d'Ulysse dut n'être que jérémiade.

     

    - C'est la chanson du vent ! crut devoir expliquer la belle dame. Mais telle qu'on ne peut l'entendre qu'ici.

     

    Suite et fin bientôt.


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  • Combien de temps courut-il ainsi, léger comme un garçon de vingt ans ? Il n'eût su le dire. Pas davantage, il n'eût été capable de compter les kilomètres couverts avant d'arriver au palais du roi Artur.

     

     

     

    C'était une demeure plus haute que la montagne. Elle était faite de marbre noir et ses créneaux, bordés d'étoiles, dessinnaient comme une grecque éblouissante. La façade que voyait Jean-Marie comptait au moins mille fenêtres qui étincelaient de lumières. La cour immense, dallée du même marbre noir que celui des murs, fut bientôt emplie par les cavaliers et les piétons tandis que des valets emmenaient chevaux et chiens. Au-dessus du perron de marbre noir, une double, énorme porte d'or s'ouvrit. Quand le bûcheron, entrainé par la foule, eut, à son tour, franchi le seuil du palais, il se trouva dans un vestibule tout en glaces. Alors, se rappelant sa vieillesse, sa misère, et le fagot qu'il portait, il eut honte. Malgré lui, cependant, il cherchait son reflet dans les immenses miroirs, parmi toutes ces fringantes silhouettes que multipliaient, à l'infini, les transparentes parois. N'y parvenant, il s'écarta pour demeurer après les autres. Alors, il regarda à droite, à gauche, devant lui, derrière lui, sans plus de succès. Il était sûr d'être seul et pourtant les glaces se renvoyaient l'image d'un beau jeune homme en culottes collantes, pourpoint de velours, coiffé d'un chapeau de page à plume ! Un adolescent qui répétait tous les gestes de Jean-Marie, levait la main quand le bûcheron levait la main, s'inclinait, s'il s'inclinait. Eberlué, transporté, n'osant encore croire à sa métamorphose, Jean-Marie chercha son fagot sur son épaule. A la place, il n'y avait que les plis lourds d'une cape cramoisie.

     

    D'un élan, avec l'entrain que donne la certitude d'être jeune et beau, Jean-Marie pénétra dans la salle où s'étaient engouffrés les autres, tout à l'heure, et qui était la salle du Trône.

     

    Celui-ci s'élevait au fond, sous un dais pailleté de lumière et dont on ne distinguait pas au premier coup d'oeil en quoi il était fait. En réalité, ces brillantes raies si fines, qui frémissaient, s'irisaient tout autour, se composaient d'une onde impalpable s'évaporant avant de toucher au sol. Le Roi Artur était assis entre ces draperies fluides sur un fauteuil taillé dans un seul bloc de diamant. A ses côtés, sa fille, la belle Isold, petite et mince, avait un visage si pur et si beau que l'on avait peine à en soutenir l'éclat. Ses cheveux, d'un blond très doux, la recouvraient jusqu'à la ceinture comme une mantille d'or. Un voile tissé de fils de la Vierge était fixé sur son front par une agrafe de diamants. Sa robe avait la couleur des nuages à l'aurore, et ses pieds, minuscules, étaient posés sur un coussin en velours d'edelweiss. Jean-Marie ne pouvait détacher ses yeux de la ravissante vision. Elle sentit ce regard. Ses larges prunelles d'un bleu céleste s'arrêtèrent sur le beau jeune homme qui la contemplait et il parut à Jean-Marie qu'elle rougit imperceptiblement.

     

     

    Mais le Roi s'étant levé tendit la main à la princesse. Tous deux descendirent les marches du trône pour traverser la salle entre deux haies de courtisans inclinés.

     

    La suite bientôt.


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