• Le pont inachevé (3)

    Le baron de Duingt fut ravi du succès de la démarche. Comme l’avait dit Allobrogine, il n’était qu’à demi convaincu de l’existence des fées. Mais Jehan était un garçon raisonnable, non pas l’un de ces rêveurs qui s’imaginent toujours voir ce que les autres ne voient pas. Il lui accordait confiance.

    - Tes amies les fées auront autant de beurre et de sel qu’elles en désirent ! acquiesça-t-il. Prie-les de commencer sans tarder.

    Le page aurait pu ne pas se déranger. Un elfe devait trainer par là qui, sans doute, courut avertir les fées car, s’en retournant à la grotte, le jeune homme rencontra nombre d’entre elles qui charriaient des pics, des cordes. Ces instruments-là fabriqués à leur mesure.

    Mais en même temps, elles tiraient aussi des troncs d’arbres que des bûcherons eussent eu de la peine à déplacer. Le messager ne s’étonna pas. Sa nourrice lui avait dit que les fées, si elles le voulaient, pourraient abattre un château fort.

     

     

     

    Annecy

     

    Le seigneur de Duingt exultait. De jour en jour, il voyait les pilotis affleurer de la nappe bleue des eaux et son page lui avait affirmé que, de l’autre côté du lac, un travail identique s‘accomplissait. Quand les pilotis se rejoindraient, il ne resterait qu’à y fixer des planches. Le pont serait construit.

    Ah ! Pourquoi ? Pourquoi prêta-t-il l’oreille aux propos de l’un des conseillers, un certain Arnodinus qui, jaloux de la faveur de Jehan, réveilla ses doutes :

    - L’on se joue de votre bonne foi, Monseigneur ! L’effronté page vous en fait accroire. Comment aurait-il sur les fées plus de crédit que vous n’en avez vous-même ? Les fées de la région sont à votre service, comme nous tous. Vous n’aviez qu’à leur imposer votre volonté. elles vous auraient obéi et il ne vous en eût pas coûté une once de beurre ni une poignée de sel. D’ailleurs ... Les avez-vous vues ramasser toutes ces provisions placées sur le rivage ? M’est avis que Jehan s’en empare pour les revendre bon prix.

     

    Le baron Jacques commença par repousser les insinuations du perfide. Puis il les discuta. Puis il y réfléchit. A la fin, son orgueil et son avarice se trouvèrent d’accord.

    Ayant fait comparaitre Jehan, il prononça d’un ton d’ironie terrible :

    - Avertis tes amies les fées que je suspends mes dons de beurre et de sel.

    - Oh ! balbutia le page qui voyait s’effondrer avec le pont ses espoirs amoureux. Mais alors ...

    - Elles travailleront désormais pour mon seul bon plaisir.

    Jehan se jeta aux genoux du Seigneur.

    Celui-ci, inflexible, poursuivait :

    - Quant à toi, remercie ton étoile. En souvenir de tes loyaux services passés, je te laisse la vie sauve. Pourtant tu mériterais la mort pour avoir fait commerce de ces vivres que tu m’extorquais. Tes protestations sont inutiles. On t’a vu, l’autre soir, parler à l’un de ces brigands qui infestent nos montagnes.

    Le pauvre Jehan ne parvint pas à se justifier. Il bredouillait, ne trouvait pas ses mots. Son maître le congédia durement :

    - Retire-toi de ma vue. Quitte ces lieux que ta présence déshonore. Va poursuivre chez d’autres ta vie de mensonge et de lucre.

     

    Titubant sous la honte, l’exilé sortit de la chambre seigneuriale. Alors, il se redressa. Il ne devait pas donner à ses ennemis le spectacle de son désespoir. Il comprenait bien qu’il était victime d’une cabale. Mais qui donc pouvait lui en vouloir à ce point ? Il fut tout aussitôt renseigné. Comme il traversait la première enceinte, il entendit un ricanement et se trouva face à face avec Arnodinus. A l’expression du bonhomme, Jehan ne douta pas que ce fût là son plus noir ennemi.

    - Vous sortez ? sussura le traître, rayonnant de haine satisfaite. Auriez-vous reçu convocation de la Princesse Allobrogine ?

    Ce ton persifleur exaspéra la colère du page qui dégaina. L’autre voulut en faire autant, mais il ne put tirer son épée. Son bras était frappé d’une paralysie soudaine. Sa main restait crispée sur le pommeau tandis qu’il se mettait à rugir comme un lion.

    Jehan alors replaça son épée au fourreau.

    - Je n’attaque pas qui ne peut se défendre.

    Cloué sur place, Arnodinus vociférait de plus belle, traitant Jehan de vendu au diable, jurant qu’il le ferait quelque jour appréhender et rouer à mort.

     

    La suite demain.

     

     

     

     

     

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  • Commentaires

    2
    Samedi 12 Mars 2011 à 18:20
    Martine27

    Vite, vite la fin ! Ah ces seigneurs, qu'est qu'ils peuvent être stupides toujours à écouter les mauvais conseils, je suppose qu'il va s'en mordre les doigts (en fait je l'espère énormément !)

    1
    Vendredi 11 Mars 2011 à 19:52
    Anne d'AMICO

    Je fais un com groupé sur les 2 épisodes, sinon je n'aurai pas le temps d'aller voir tout le monde... C'est un gros méchant cet Arnodinus!! J'espère que notre héros pourra quand même épouser la princesse!!

    Gros bisous Nathie!

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