• La cloche du lac de Bart

    Selon une vieille tradition, un village occupait jadis l’emplacement du lac de Bart, où venaient naguère s’ébattre les baigneurs, l’été, et que recouvre aujourd’hui le canal de dérivation du Rhône. Et ç’aurait été en souvenir de cet engloutissement que ses eaux apparaissaient souvent ternes et de couleur ardoise, tandis que son voisin, le lac de Barterand, étale encore des flots d’un joli bleu.

     

    Lac de Barterand

     

    Le lac de Barterand.

     

    Mais comment se forma le lac de Bart ? Quand les farouches Sarrasins envahirent le Bugey, les habitants du village aujourd’hui disparu, et dont il ne semble pas qu’on ait retenu le nom, se réfugièrent dans leur église, qu’ils considéraient comme inviolable. Les pauvres gens auraient mieux fait de gagner les sapinières, car les Sarrasins se moquaient bien des lois de l’Eglise. Aussi, pris comme dans une souricière, hommes, femmes et enfants furent-ils massacrés jusqu’au dernier. Dieu, dit-on, vengea aussitôt cette odieuse et terrible tuerie: la terre s’entrouvrit, s’affaissa soudain, et tout disparut dans un gouffre, les morts comme les vivants, les maisons et l’église. Dommage que Dieu ait omis de faire la même chose, en 1944, dans un certain village du Limousin.

     

    Cette légende était presque totalement oubliée, et l’on attribuait peut-être le son du tocsin, que l’on entendait parfois, au choc furieux de l’onde contre quelque roche sonore, ou encore à la voix de l’écho répétant la clameur des vagues agitées par la tempête, lorsque, au cours d’un été particulièrement torride et sec, un pêcheur de Parves accrocha par accident son filet dans les eaux du lac à moitié desséché. Il eut beau tirer de toutes ses forces, au risque de rompre quelques mailles, le filet tenait bon. Il voulut alors se servir d’un harpon, et c’est en se penchant sur le bord de sa barque, qu’il aperçut la pointe d’un clocher, et son filet accroché au bras de la croix, d’une croix de fer qui, bien que dans l’eau depuis de nombreux siècles, avait résisté aux attaques de la rouille.

     

    La nouvelle de cette découverte incroyable amena une foule de gens autour du lac. De hardis plongeurs pénétrèrent dans le clocher submergé et y trouvèrent la fameuse cloche, dont le son, certains jours, intriguait tant ceux qui l’entendaient. Et puisque la découverte avait pour auteur un homme de Parves, on décida que la cloche appartiendrait à cette paroisse. Cela tombait bien : l’église du village n’en possédait aucune. On pourrait désormais sonner gaiement le carillon, et remettre à leur place ceux qui oseraient rappeler ce dicton : « Muet comme le clocher de Parves «.

     

    Mais comment retirer le bourdon du lac ? On se réunit en assemblée générale, sans pouvoir trouver une solution, tant les avis différaient. Enfin, on fit appel à l’ermite de Sainte-Anne, dont la réputation de prudence et de sagesse s’étendait loin à la ronde.

     

    - Mes bons amis, déclara-t-il, pour tirer des eaux la cloche de Bart, faites voeu de vous abstenir de viande, le mercredi de chaque semaine, sans préjudice des vendredis et samedis, auxquels jours, selon la loi de l’Eglise, il nous est interdit de manger la chair des animaux.

     

    On accepta de se soumettre à cette rigueur.

     

    Bientôt, tout un bord du lac se couvrit d’une foule d’engins : treuils, cabestans, et autres; de monceaux de planches, de madriers; d’une quantité de bêtes de trait. Enfin, quand tout fut disposé comme il convenait, on attacha la cloche à deux grosses cordes, et l’on tira. Elle apparut lentement, massive, trapue, et l’on put même déchiffrer, gravée dans l’airain, l’inscription de son baptême. Chacun de l’admirer et de conclure qu’elle convenait à merveille.

     

    Quand tout le monde l’eut bien regardée, on reprit la traction, en s’attendant à ce que, sur la terre ferme et dans une pente assez raide, elle offrît davantage de résistance que dans l’eau. Mais on s’était lourdement trompé, car la cloche, elle, montait légèrement la côte, et les deux cordes, que tiraient douze paires de boeufs, ne se trouvaient jamais tout à fait tendues. La cloche avançait comme si elle eût des jambes. Pour un peu, elle se fût envolée, ainsi que le font celles de nos églises, chapelles ou cathédrales, qui battent des ailes jusqu’à Rome, aux approches de Pâques !

     

    La pente qui monte du lac de Bart en direction de Parves, est constituée d’une série de gigantesques marches d’escaliers, formant ainsi de larges paliers. Or, quand la cloche fut arrivée sur la plus haute de toutes, on voulut faire reposer bêtes et gens. Les boeufs cessèrent de tirer, se couchèrent, et la foule, surtout les hommes, commença par se rafraîchir, vidant force cruches de vin. Bientôt, sous l’effet de l’alcool, de la chaleur et de la griserie du succès, on en vint à plaisanter la cloche. On lui demanda si, dans le lac, elle sonnait pour le « baptême des carpes ou pour le mariage des ondines ». On lui adressa même des gaillardises. A la fin, quelqu’un déclara ne pas accepter, pour une simple cloche, de se priver de viande durant trois jours par semaine. D’autres l’approuvèrent. Un immense éclat de rire s’éleva, qui fit vibrer les échos de la montagne.

     

     

    Il n’avait pas encore cessé, que, soudain, les deux cordes se détachèrent d’elles-mêmes de l’attelage, et que la cloche, libre comme le vent, se mit à rouler, à bondir de rocher en rocher, pour aller disparaître dans le lac, au milieu d’une immense gerbe d’argent... Naguère, par les nuits d’orage, on entendait toujours son lugubre tocsin monter des profondeurs.

     

    Lac du Lit au Roi

     

    Le lac du Lit au Roi à Massignieu-de Rives qui "grossit" le Rhône.

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  • Commentaires

    6
    Samedi 19 Février 2011 à 09:10
    Anne d'AMICO

    Hé bè voilà!! ça leur apprendra à ne pas dire des âneries à une cloche bénie!!

    J'adore toutes ces légendes! Entend-on toujours la cloche de nos jours?

    Gros bisous ma belle!

    5
    Vendredi 18 Février 2011 à 06:30
    dany

    j'ai jamais compris pourquoi qu'avant, on appellait le lac de Barterant: le lac de St Champ, et que le lac de Bart n'était pas très loin du lac du lit au roi....

    bizard...

    4
    Jeudi 17 Février 2011 à 08:13
    Oo° Kri °oO

    Encore une belle légende que tu nous offres ce matin

     Bon jeudi!!

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    3
    Jeudi 17 Février 2011 à 06:22
    Nettoue

    C'est une belle légende. Non loin de chez-moi, l'on en raconte une où il est également question de lac ! Celui de Gérarmer, lequel jaillit de terre à la suite d'une secousse sismique. mais il ne vint pas seul et ne détuisit rien au contraire.... Il apportat les jonquilles... Sa naissance est vrai et historique, mais les fleurs dont le village est envahi depuis, je les croit nées bien avant lui !

    L'important et le rêve, n'est-ce pas ?

    J'ai aimé et tes photos sont très belles !

    Amicalement

    2
    Mercredi 16 Février 2011 à 20:06
    ZAZA

    Une très belle histoire que ne connaissais pas Nathie. Bravo. Bises et bonne soirée

    1
    Mercredi 16 Février 2011 à 17:50
    yg86au fil des jours

    Quelle belle histoire.

    Il y a quelques années, dans l'Indre, à Eguzon, le lac de barrage a été vidé et les ruines de l'ancien village étaient visibles avec un pont intact.

    Bisous. Bonne soirée

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