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Le pont inachevé (2)
Caracolant par la belle campagne sabaudienne, Jehan se dirigea droit vers la plus proche grotte des fées.
De l’extérieur, c’était une grotte comme les autres.
Mais l’adolescent savait qu’il ne se trompait pas. Ayant attaché son cheval à une anfractuosité du rocher, il pénétra sous la voûte de granit. Puis, il frappa doucement dans ses mains en prononçant les paroles que lui avait apprises sa vieille nourrice et qui signifiaient que l’on avait affaire à un ami. ( Je voudrais bien vous les répéter à mon tour. Hélas ! nous en avons perdu la formule. Je ne connais personne de nos jours qui soit capable de parlementer avec les fées ).
Jehan n’attendit pas longtemps. Presque aussitôt, un elfe se présenta, qui était au service des fées.
Cher lecteur, avez-vous déjà rencontré un elfe ? Sans doute ! Mais peut-être l’avez-vous pris pour le reflet irisé d’une aile de libellule, pour la trace brillante d’une goutte de rosée ? Peut-être avez-vous, sans le vouloir, écrasé des elfes se balançant sur un brin d’herbe ? Le page du seigneur de Duingt, lui, ne pouvait faire pareille erreur. Etant enfant, il avait souvent joué avec les gracieux esprits des prairies. Il tint donc tout de suite à celui-là le langage qui convenait. Un langage également perdu pour nous, mais qu’il nous est permis de traduire selon le récit des Anciens :
- Au nom de Haut et Puissant Seigneur de Duingt, je viens solliciter l’aide de Mesdames les Fées.
- Allobrogine, notre Princesse, est justement en ses appartements. Suivez-moi, beau chevalier.
Et le guide minuscule appuya sur une aspérité, presque imperceptible, de la voûte. Le rocher s’ouvrit, ses deux côtés s’écartant comme deux portes à glissières, qui se refermèrent derrière eux hermétiquement. Ils avaient pénétré dans un hall de bonnes dimensions dont les murs étaient de diamant, le plafond de turquoise et d’or. L’on n’y voyait nulle ouverture, cependant il y faisait grand jour. Sur le sol, s’étendait un tapis, frais et parfumé comme s’il eût été en duvet de fleurs.
Sur le hall s’ouvrait une salle aux parois creusées d’alvéoles à peine plus grands que des alvéoles de ruches. Dans ces alvéoles, les fées de la classe laborieuse, toutes petites, s’affairaient à leurs tâches quotidiennes. Elles ne levèrent pas même la tête pour examiner le nouveau venu. Les unes broyaient les couleurs que d’autres, les artistes, iraient étendre, le lendemain, sur le calice des gentianes, des coquelicots, des primevères, des boutons d’or. Elles se servaient de mortiers qui ressemblaient à des cupules de glands en réduction. Celles-ci tissaient des filets en fil de la Vierge que l’on jetterait, à l’aurore, sur les prairies. Celles-là surbrodaient l’impalpable panache que secoueraient, à l’aurore, les torrents.
Toujours conduit par l’elfe chambellan, le visiteur franchissait le seuil d’une troisième pièce dans laquelle se tenait Allobrogine, princesse de ces lieux.
Reposant sur des coussins de nuages roses, elle avait la taille d’une femme moyenne. Mais elle était si belle que notre damoiseau en trembla de la tête aux pieds bien qu’il eût le coeur tout plein d’un seul amour.
Il ne s’aperçut même pas tout de suite que la radieuse souveraine était entourée d’une vingtaine d’autres fées, plus petites mais presque aussi belles.
- Que veux-tu, gentil garçon ? interrogea la Princesse des fées, redressant le buste. Parle sans crainte. Je sais que mon peuple n’eut jamais à souffrir par toi. On m’a rapporté avec quel soin tu évitais de fouler le sol où nos morts sont ensevelis.
Elle faisait allusion à ces infimes tertres disposés par rangs parallèles que l’on voit, en haute montagne, aux croisées des chemins et qui sont les tombeaux des fées. Il était vrai que le page eût préféré courir le risque de glisser à l’abîme plutôt que d’y poser les pieds.
- Parle ! répétait son interlocutrice. Que souhaites-tu de nous ?
Il exposa les faits. Allobrogine l’écouta pensivement, puis déclara :
- Le Seigneur de Duingt n’est pas, comme toi, de nos amis. Si j’en crois les langues, il irait même jusqu’à mettre en doute notre existence.
- Madame !
- Si ! Si ! Je le tiens de personnes dignes de foi.
- Excusez-moi, mais ma démarche leur donne un démenti.
- Que non ! assura l’immatérielle créature. Ta démarche prouve seulement qu’il désire beaucoup qu’on lui construise un pont. Tu lui as proposé notre concours. Il a accepté. Mais à la façon des sceptiques en se disant : «On verra, je ne serai pas moins avancé après qu’avant».
Le visage du page se rembrunissait.
S’il n’obtenait l’aide qu’il venait solliciter, quand reverrait-il les tresses blondes d’Ancilie ?
Résolument, il avoua son idylle avec la nièce du Seigneur de Talloires et la Fée sourit:
- Je le savais ! dit-elle. L’un de mes elfes a surpris, un soir, vos tendres adieux.
Le page amoureux sentit la partie gagnée.
En effet, la Fée promit que le pont, d’une rive à l’autre, serait élevé par l’industrie de ses spécialistes.
- Tu as pu te rendre compte, en pénétrant dans mon palais, de l’art et de l’adresse qu’elles pouvaient déployer en matière de construction. Annonce à ton seigneur qu’il aura son pont.
- Il vous en sera reconnaissant à jamais, Madame !
- N’engageons pas l’avenir ! répliqua la Fée. Le coeur des hommes varie plus que l’air du temps. Je ne demande au baron Jacques qu’une chose pour prix de notre travail, une chose assez facile. Nous manquons de beurre, figure-toi, et nous en sommes friandes. Les paysans qui nous entourent sont rudes. Ils nous bousculent sans y penser quand nous nous approchons de leurs barattes. Le sel, aussi, nous fait défaut. Que ton seigneur nous pourvoie en beurre et en sel tant que durera la construction du pont. Tu peux lui dire que l’ouvrage sera terminé avant la troisième lune.
La suite bientôt.
Tags : fee, d’un, qu’il, seigneur, pont
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Commentaires
J'adore ! Superbe photo .
J'aime beaucoup ton blog avec tes légendes, murs peints, randos ect.........
Bises
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mon p'tit elfe !!!