• Le pont inachevé (fin)

     

    Mais Jehan, d’un pas tranquille, franchissait la dernière enceinte, puis le pont-levis. Il se retourna, contempla le massif bastion d’où il était chassé. En dépit de la révolte qui bouillonnait en lui, il se remémorait, avec regret, son enfance, sa première jeunesse vécues entre ces murs, les marques d’estime que lui avait données le baron Jacques. Une tristesse profonde, bientôt, adoucit sa rancune et ses yeux se mouillèrent. Il reprit sa marche, ne voyant les choses qu’au travers de ce voile de larmes !

    Cependant, le magnifique carrosse, arrêté à deux pas de lui, n’était pas une hallucination. Il était attelé de quatre chevaux, blancs comme la blancheur des neiges de hauts sommets, et que leur cocher maintenait d’une poigne ferme, un valet assis à ses côtés. Tous deux portaient une livrée de teinte améthyste semblable à la soie qui capitonnait l’intérieur du carrosse.

    Dès que Jehan parut, le valet, sautant de son siège, ouvrit la portière et prononça :

    - Notre Princesse Allobrogine nous a donné l’ordre de conduire Messire au château de Talloires où il est attendu.

    Deux secondes après, le cocher toucha ses chevaux qui partirent en flèche. A la vitesse d’un vent rapide le tour du lac fut fait, emportant vers le bonheur le noble ami des fées.

     

    DSCF1867.JPG

      

    Le mariage d’Ancilie et de Jehan fut d’un faste qu’eussent envié des rois. Trois souverains, d’ailleurs, y assistaient. On compta cinq cents et quelques invités. Le soir, il y eut un feu d’artifice qui embrasa de reflets magiques les montagnes, le ciel et l’eau. Le lac paraissait une immense nappe d’or sur laquelle ricochaient des étoiles.

    Et les cadeaux à la jeune épouse furent si nombreux que vingt ans après, dit-on, l’inventaire n’en était pas terminé.

    Mais le voile que portait Ancilie suscita autant de curiosité que d’admiration. En quoi donc était-il ? Plus fin que la plus fine soie de Mossoul, plus travaillé que la plus savante dentelle, il bruissait, il scintillait.

    Vous l’avez compris : ce voile était un présent des fées.

     

    Le seigneur de Duingt ne prit aucune part à ces réjouissances. Pourtant, Jehan l’avait invité. Las ! Il nous faut admettre que Jacques III n’avait pas l’âme assez haute pour être sensible au pardon. il demeura à se morfondre dans son isolement. On raconte qu’il ne quittait son château que pour s’approcher du lac. Comme s’il eût gardé une vaine espérance, il interrogeait les liquides profondeurs où se dressaient encore les troncs naguère plantés qui, par un effet d’optique, semblaient zigzaguer sous les eaux et frémir d’ironie moqueuse.

    Les fées ne revinrent pas, dédaignant les énormes mottes de beurre et les tas de sel que le baron, chaque jour, faisait déposer sur le rivage.

    Les fées sont des êtres charmants. Seulement, elles sont, aussi, vindicatives et fort susceptibles.

    Voilà pourquoi, disent les Anciens, le pont de Duingt à Talloires ne fut jamais achevé.

     

    FIN

    

    Vue de Duingt depuis le Chemin des Moines à Talloires

    

    Tableau de Suzanne Lansé représentant la baie de Duingt au pied du Roc des Boeufs et de la montagne d'Entrevernes.

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  • Commentaires

    3
    Dimanche 13 Mars 2011 à 14:14
    Anne d'AMICO

    .... et ils eurent beaucoup d'enfants! Il faut traiter les fées et tout le petit peuple avec respect, bien fait pour le seigneur!

    Merci pour ce joli conte! Gros bisous Nathie!

    2
    Dimanche 13 Mars 2011 à 10:11
    Martine27

    Bien fait pour le seigneur, mais je crois que j'aurais été moins gentille que les fées.

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    1
    Dimanche 13 Mars 2011 à 08:48
    Oo° Kri °oO

    C'est vrai elles n'ont pas toujours un caractère facile et prennent vite la mouche :-)

    Bon dimanche!

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