• Les mémoires d'un âne ( 26 )

    XXVI - Le bateau

     

    Jacques :—Quel dommage qu'on ne puisse pas faire tous les jours un déjeuner comme celui de la semaine dernière : c'était si amusant !
    Louis :—Et comme nous avons bien déjeuné !
    Camille :—Ce qui m'a semblé le meilleur, c'était la salade de pommes de terre et la vinaigrette de veau.
    Madeleine :—Je sais bien pourquoi : c'est parce que maman te défend habituellement de manger des choses vinaigrées.
    Camille, riant :—C'est possible ; les choses qu'on mange rarement semblent toujours meilleures, surtout quand on les aime naturellement.
    Pierre :—Que ferons-nous aujourd'hui pour nous amuser ?
    Elisabeth :—C'est vrai, c'est notre jeudi ; nous avons congé jusqu'au dîner.
    Henri :—Si nous pêchions une friture dans le grand étang ?
    Camille :—Bonne idée ! Nous aurons un plat de poisson pour demain, jour maigre.
    Madeleine :—Comment pêcherons-nous ? Avons-nous des lignes ?
    Pierre :—Nous avons assez d'hameçons ; ce qui nous manque ce sont des bâtons pour attacher nos lignes.
    Henri :—Si nous demandions aux domestiques d'aller nous en acheter au village ?
    Pierre :—On n'en vend pas là ; il faudrait aller à la ville.
    Camille :—Voilà Auguste qui arrive ; il a peut-être des lignes chez lui ; on les enverrait chercher avec le poney.
    Jacques :—Moi, j'irai avec Cadichon.
    Henri :—Tu ne peux aller si loin tout seul.
    Jacques :—Ce n'est pas loin, c'est à une demi-lieue.
    Auguste, arrivant :—Qu'est-ce que vous voulez aller chercher avec Cadichon, mes amis ?

    Pierre :—Des lignes pour pêcher. En as-tu Auguste ?
    Auguste :—Non ; mais il n'y a pas besoin d'aller en chercher si loin ; avec des couteaux, nous en ferons nous-mêmes autant que nous en voudrons.
    Henri :—Tiens ! c'est vrai. Comment n'y avons-nous pas songé ?
    Auguste :—Allons vite en couper dans le bois. Avez-vous des couteaux ? J'ai le mien dans ma poche.
    Pierre :—J'en ai un excellent que Camille m'a apporté de Londres.
    Henri :—Et moi aussi, j'ai celui que m'a donné Madeleine.
    Jacques :—Et moi, j'ai aussi un couteau.
    Louis :—Et moi aussi.
    Auguste :—Venez avec nous alors ; pendant que nous couperons les gros brins de bois, vous enlèverez l'écorce et les petites branches.
    —Et nous, que ferons-nous en attendant ? dirent Camille, Madeleine, Elisabeth.
    —Faites préparer ce qui est nécessaire pour la pêche, répondit Pierre : le pain, les vers, les hameçons.
    Et tous se dispersèrent, allant chacun à son affaire.

    

    Etang des Ecassaz

     

    Je me dirigeai donc doucement vers l'étang, et j'attendis plus d'une demi-heure l'arrivée des enfants. Je les vis enfin accourir tenant chacun sa gaule, et apportant les hameçons et autres objets dont ils pouvaient avoir besoin.
    Henri :—Je crois qu'il faudra battre l'eau pour faire venir les poissons au-dessus.
    Pierre :—Au contraire, il ne faut pas faire le moindre bruit : les poissons iront tout au fond dans la vase si nous les effrayons.
    Camille :—Je crois qu'il serait bon de les attirer en leur jetant des miettes de pain.

    Madeleine :—Oui, mais pas beaucoup, si nous leur en donnons trop, ils n'auront plus faim.
    Elisabeth :—Attendez, laissez-moi faire ; occupez-vous de préparer les hameçons pendant que je jetterai du pain.
    Elisabeth prit le pain ; à la première miette qu'elle jeta, une demi-douzaine de poissons s'élancèrent dessus. Elisabeth en jeta encore. Louis, Jacques, Henriette et Jeanne voulurent l'aider ; ils en jetèrent tant, que les poissons rassasiés, ne voulurent plus y toucher.
    —Je crains que nous n'en ayons trop jeté, dit Elisabeth tout bas à Louis et à Jacques.
    Jacques :—Qu'est-ce que cela fait ? ils mangeront le reste ce soir ou demain.
    Elisabeth :—Mais c'est qu'ils ne voudront plus mordre à l'hameçon ; ils n'ont plus faim.
    Jacques :—Aïe ! aïe ! les cousins et les cousines ne seront pas contents.
    Elisabeth :—Ne disons rien ; ils sont occupés à leurs hameçons ; peut-être les poissons mordront-ils tout de même.
    —Voilà les hameçons prêts, dit Pierre apportant les lignes ; prenons chacun notre ligne, et lançons-la dans l'eau.
    Chacun prit sa ligne et la lança comme disait Pierre. Ils attendirent quelques minutes, en prenant garde de faire du bruit ; le poisson ne mordait pas.
    Auguste :—La place n'est pas bonne, allons plus loin.
    Henri :—Je crois qu'il n'y a pas de poisson ici, car voilà plusieurs miettes de pain qui n'ont pas été mangées.
    Camille :—Allez au bout de l'étang, près du bateau.
    Pierre :—C'est bien profond par là.
    Elisabeth :—Crains-tu que les poissons ne se noient ?
    Pierre :—Pas les poissons, mais l'un de nous s'il venait à y tomber.

    Henri :—Comment veux-tu que nous tombions ? Nous ne nous approchons pas assez du bord pour glisser ou rouler dans l'eau.
    Pierre :—C'est vrai, mais je ne veux pas tout de même que les petits y aillent.
    Jacques :—Oh ! je t'en prie, Pierre, laisse-moi aller avec toi ; nous resterons très loin de l'eau.
    Pierre :—Non, non, restez où vous êtes ; nous reviendrons bientôt vous joindre, car je ne pense pas que nous trouvions là-bas plus de poisson que par ici. D'ailleurs, ajouta-t-il, en baissant la voix, c'est votre faute si nous n'avons rien pu attraper ; je vous ai bien vus, vous avez jeté dix fois trop de pain ; je ne veux pas le dire à Henri, à Auguste, à Camille et à Madeleine, mais il est juste que vous soyez punis de votre étourderie.
    Jacques n'insista plus, et raconta aux autres coupables ce que venait de lui dire Pierre. Ils se résignèrent à rester à la place où ils étaient, attendant toujours que les poissons voulussent bien se laisser prendre, et n'en prenant aucun.
    J'avais suivi Pierre, Henri et Auguste au bout de l'étang. Ils jetèrent leurs lignes ; pas plus de succès là-bas ; ils eurent beau changer de place, traîner les hameçons : les poissons ne paraissaient pas.
    —Mes amis, dit Auguste, j'ai une excellente idée ; au lieu de nous ennuyer à attendre qu'il plaise aux poissons de venir se faire prendre, faisons une pêche en grand : prenons-en quinze ou vingt à la fois.
    Pierre :—Comment ferons-nous pour en prendre quinze ou vingt, puisque nous ne pouvons en prendre un seul ?
    Auguste :—Avec un filet qu'on appelle épervier.
    Henri :—Mais c'est très difficile ; papa dit qu'il faut savoir le lancer.

    Auguste :—Difficile ! quelle folie ! Moi, j'ai lancé dix fois, vingt fois l'épervier. C'est très facile.
    Pierre :—Et as-tu pris beaucoup de poissons ?
    Auguste :—Je n'en ai pas pris, parce que je ne le lançais pas dans l'eau.
    Henri :—Comment ? où et sur quoi le lançais-tu ?
    Auguste :—Sur l'herbe ou sur la terre, seulement pour m'apprendre à bien jeter.
    Pierre :—Mais ce n'est pas du tout la même chose ; je suis sûr que tu le lancerais très mal sur l'eau.
    Auguste :—Mal ! tu crois cela ? Tu vas voir si je le lance mal ! Je cours chercher l'épervier qui sèche au soleil dans la cour.
    Pierre :—Non, Auguste, je t'en prie. S'il arrivait quelque chose, papa nous gronderait.
    Auguste :—Et que veux-tu qu'il arrive ? Puisque je te dis que chez nous on pêche toujours à l'épervier. Je pars ; attendez-moi, je ne serai pas longtemps.
    Et Auguste partit en courant, laissant Pierre et Henri mécontents et inquiets. Il ne tarda pas à revenir, traînant après lui le filet.
    —Voilà, dit-il, en l'étalant par terre. A présent, gare les poissons !
    Il lança l'épervier assez adroitement ; il tira avec précaution et lenteur.
    —Tire donc plus vite ! nous n'en finirons pas, dit Henri.
    —Non, non, dit Auguste, il faut le ramener tout doucement pour ne pas faire rompre le filet et pour ne laisser échapper aucun poisson.
    Il continua à tirer, et, quand tout fut amené, le filet était vide : pas un poisson ne s'était laissé prendre.
    —Oh ! dit-il, une première fois ne compte pas.

    Il ne faut pas se décourager. Recommençons.
    Il recommença, mais il ne réussit pas mieux la seconde fois que la première.
    —Je sais ce que c'est, dit-il. Je suis trop près du bord ; il n'y a pas assez d'eau. Je vais entrer dans le bateau ; comme il est très long, je serai assez éloigné du bord pour pouvoir bien développer mon épervier.
    —Non, Auguste, dit Pierre, ne va pas dans le bateau ; avec ton épervier, tu peux t'embarrasser dans les rames et les cordages, et tu ferais la culbute dans l'eau.
    —Mais tu es comme un bébé de deux ans, Pierre, répliqua Auguste ; moi, j'ai plus de courage que toi. Tu vas voir.

     

    Lac d'Arboréaz

     

    Et il s'élança dans le bateau, qui alla de droite et de gauche. Auguste eut peur quoiqu'il fît semblant de rire, et je vis qu'il allait faire quelque maladresse. Il déploya et étendit mal son filet, gêné comme il l'était par le mouvement du bateau ; ses mains n'étaient pas très rassurées, il chancelait sur ses pieds. L'amour-propre l'emporta toutefois, et il lança l'épervier. Mais le mouvement fut arrêté par la crainte de tomber à l'eau ; l'épervier s'accrocha à son épaule gauche, et lui donna une secousse qui le fit tomber dans l'étang, la tête la première. Pierre et Henri poussèrent un cri de terreur qui répondit au cri d'angoisse qu'avait poussé le malheureux Auguste en se sentant tomber. Il se trouvait enveloppé dans le filet, qui gênait ses mouvements, et qui ne lui permettait pas de nager pour revenir sur l'eau et près du bord. Plus il se débattait, plus il resserrait le filet autour de son corps. Je le voyais enfoncer petit à petit. Quelques instants encore et il était perdu.

    Pierre et Henri ne pouvaient lui prêter aucun secours, ne sachant nager ni l'un ni l'autre. Avant qu'ils pussent amener du monde, Auguste devait périr infailliblement.
    Je ne fus pas longtemps à prendre mon parti ; me jetant résolument à l'eau, je nageai vers lui, et je plongeai, car il était déjà à une grande profondeur sous l'eau. Je saisis avec mes dents le filet qui l'enveloppait ; je nageai vers le bord en le tirant après moi ; je regrimpai la pente, fort escarpée, tirant toujours Auguste, au risque de lui occasionner quelques bosses en le traînant sur des pierres et des racines, et je l'amenai jusque sur l'herbe, où il resta sans mouvement.
    Pierre et Henri, pâles et tremblants, accoururent près de lui, le débarrassèrent, non sans peine, du filet qui le serrait, et, voyant accourir Camille et Madeleine, ils leur demandèrent d'aller chercher du secours.
    Les petits, qui avaient vu de loin la chute d'Auguste, arrivaient aussi en courant, et aidèrent Pierre et Henri à essuyer son visage et ses cheveux imprégnés d'eau. Les domestiques de la maison ne tardèrent pas à venir. On emporta Auguste sans connaissance, et les enfants restèrent seuls avec moi.
    —Excellent Cadichon ! s'écria Jacques, c'est pourtant toi qui as sauvé la vie à Auguste ! Avez-vous vu tous avec quel courage il s'est jeté à l'eau ?
    Louis :—Oui, certainement ! Et comme il a plongé pour rattraper Auguste !
    Elisabeth :—Et comme il l'a habilement tiré sur l'herbe !
    Jacques :—Pauvre Cadichon ! tu es mouillé !
    Henriette :—Ne le touche pas, Jacques ; il va mouiller tes habits ; vois comme l'eau lui coule de partout.
    —Ah bah ! qu'est-ce que ça fait que je sois un peu mouillé ? dit Jacques passant ses bras autour de mon cou ; je ne le serai jamais autant que Cadichon.

    Louis :—Au lieu de l'embrasser et de lui faire des compliments, tu ferais mieux de l'emmener à l'écurie, où nous le bouchonnerons bien avec de la paille et où nous lui donnerons de l'avoine pour le réchauffer et lui rendre des forces.
    Jacques :—Ceci est très vrai ; tu as raison. Viens, mon Cadichon.
    Jeanne :—Qu'est-ce que c'est que de bouchonner ? Tu dis, Louis, que tu bouchonneras Cadichon ?
    Louis :—Bouchonner, c'est frotter avec des poignées de paille jusqu'à ce que le cheval ou l'âne soit bien sec. On appelle cela bouchonner, parce que la poignée de paille qu'on tortille pour cela s'appelle un bouchon de paille.

     

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    Je suivais Jacques et Louis, qui marchèrent vers l'écurie en me faisant signe de les accompagner. Tous deux se mirent à me bouchonner avec une telle vivacité, qu'ils furent bientôt en nage. Ils ne cessèrent pourtant que lorsqu'ils m'eurent bien séché. Pendant ce temps, Henriette et Jeanne se relayaient pour peigner et brosser ma crinière et ma queue. J'étais superbe quand ils eurent fini, et je mangeai avec un appétit extraordinaire la mesure d'avoine que Jacques et Louis me présentèrent.
    —Henriette, dit tout bas la petite Jeanne à sa cousine, Cadichon a beaucoup d'avoine ; il en a trop.
    Henriette :—Ça ne fait rien, Jeanne ; il a été très bon ; c'est pour le récompenser.
    Jeanne :—C'est que je voudrais bien lui en prendre un peu.
    Henriette :—Pourquoi ?
    Jeanne :—Pour en donner à nos pauvres lapins, qui n'en ont jamais et qui l'aiment tant.
    Henriette :—Si Jacques et Louis te voient prendre l'avoine de Cadichon, ils te gronderont.
    Jeanne :—Ils ne me verront pas.

    J'attendrai qu'ils ne me regardent pas.
    Henriette :—Alors, tu seras une voleuse, car tu voleras l'avoine du pauvre Cadichon, qui ne peut pas se plaindre, puisqu'il ne peut pas parler.
    —C'est vrai, dit Jeanne tristement. Mes pauvres lapins seraient pourtant bien contents d'avoir un peu d'avoine.
    Et Jeanne s'assit près de mon auget, me regardant manger.
    —Pourquoi restes-tu là, Jeanne ? demanda Henriette. Viens avec moi pour avoir des nouvelles d'Auguste.
    —Non, répondit Jeanne, j'aime mieux attendre que Cadichon ait fini de manger, parce que, s'il laisse un peu d'avoine, je pourrai alors la prendre, sans la voler, pour la donner à mes lapins.
    Henriette insista pour la faire partir, mais Jeanne refusa et resta près de moi. Henriette s'en alla avec ses cousins et ses cousines.
    Je mangeai lentement ; je voulais voir si Jeanne, une fois seule, succomberait à la tentation de régaler ses lapins à mes dépens. Elle regardait de temps en temps dans l'auget.
    «Comme il mange ! disait-elle. Il n'en finira pas... Il ne doit plus avoir faim, et il mange toujours... L'avoine diminue ; pourvu qu'il ne mange pas tout... S'il en laissait un peu seulement, je serais si contente !»
    J'aurais bien mangé tout ce qui était devant moi, mais la pauvre petite me fit pitié ; elle ne touchait à rien, malgré l'envie qu'elle en avait. Je fis donc semblant d'en avoir assez, et je quittai mon auget, y laissant la moitié de l'avoine ; Jeanne fit un cri de joie, sauta sur ses pieds, et, prenant l'avoine par poignées, la versa dans son tablier de taffetas noir.
    —Que tu es bon, que tu es gentil, mon gentil Cadichon ! disait-elle.

    Je n'ai jamais vu un meilleur âne que toi... C'est bien gentil de ne pas être gourmand ! Tout le monde t'aime parce que tu es très bon... Les lapins seront bien contents ! Je leur dirai que c'est toi qui leur donnes de l'avoine.
    Et Jeanne, qui avait fini de tout verser dans son tablier, partit en courant. Je la vis arriver à la petite maisonnette des lapins, et je l'entendis leur raconter combien j'étais bon, que je n'étais pas du tout gourmand, qu'il fallait faire comme moi, et que, puisque j'avais laissé l'avoine à des lapins, eux devaient en laisser pour les petits oiseaux.
    —Je reviendrai tantôt, leur dit-elle, et je verrai si vous avez été bons comme Cadichon.
    Elle ferma ensuite leur porte, et courut rejoindre Henriette.
    Je la suivis pour savoir des nouvelles d'Auguste ; en approchant du château, je vis avec plaisir qu'Auguste était assis sur l'herbe avec ses amis. Quand il me vit arriver, il se leva, vint à moi, et dit en me caressant :
    —Voilà mon sauveur ; sans lui, j'étais mort ; j'ai perdu connaissance au moment où Cadichon, ayant saisi le filet, commençait à me tirer à terre ; mais je l'ai très bien vu se jeter à l'eau et plonger pour me sauver. Jamais je n'oublierai le service qu'il m'a rendu, et jamais je ne reviendrai ici sans dire bonjour à Cadichon.

     

    La Cabanerie

     

     

    —Ce que vous dites là est très bien, Auguste, dit la grand'mère. Quand on a du coeur, on a de la reconnaissance envers un animal aussi bien que pour un homme. Quant à moi je me souviendrai toujours des services que nous a rendus Cadichon, et, quoi qu'il arrive, je suis décidée à ne jamais m'en séparer.
    Camille :—Mais, grand'mère, il y a quelques mois, vous vouliez l'envoyer au moulin.

    Il aurait été très malheureux au moulin.
    La grand'mère :—Aussi, chère enfant, ne l'y ai-je pas envoyé. J'en avais eu la pensée un instant, il est vrai, après le tour qu'il avait joué à Auguste, et à cause d'une foule de petites méchancetés dont toute la maison se plaignait. Mais j'étais décidée à le garder ici en récompense de ses anciens services. A présent, non seulement il restera avec nous, mais je veillerai à ce qu'il y soit heureux.
    —Oh ! merci, grand'mère, merci ! s'écria Jacques, en sautant au cou de sa grand'mère, qu'il manqua jeter par terre. C'est moi qui aurai toujours soin de mon cher Cadichon ; je l'aimerai, et il m'aimera plus que les autres.
    La grand'mère :—Pourquoi veux-tu que Cadichon t'aime plus que les autres, mon petit Jacques ? Ce n'est pas juste.
    Jacques :—Si fait, grand'mère, c'est juste, parce que je l'aime plus que ne l'aiment mes cousins et cousines, et que lorsqu'il a été méchant, que personne ne l'aimait, moi, je l'aimais encore un peu ... et même beaucoup, ajouta-t-il en riant. N'est-il pas vrai, Cadichon ?
    Je vins aussitôt appuyer ma tête sur son épaule. Tout le monde se mit à rire, et Jacques continua :
    —N'est-ce pas, mes cousines et cousins, que vous voulez bien que Cadichon m'aime plus que vous ?
    —Oui, oui, oui, répondirent-ils tous en riant.
    Jacques :—Et n'est-ce pas que j'aime Cadichon, et que je l'ai toujours aimé plus que vous ne l'aimez ?
    —Oui, oui, oui, reprirent-ils tout d'une voix.
    Jacques :—Vous voyez bien, grand'mère, que, puisque c'est moi qui vous ai amené Cadichon, puisque c'est moi qui l'aime le plus, il est juste que ce soit moi que Cadichon aime le mieux.

    La grand'mère, souriant :—Je ne demande pas mieux, cher enfant ; mais quand tu n'y seras pas, tu ne pourras plus le soigner.
    Jacques, avec vivacité :—Mais j'y serai toujours, grand'mère.
    La grand'mère :—Non, mon cher enfant, tu n'y seras pas toujours, puisque ton papa et ta maman t'emmènent quand ils s'en vont.
    Jacques devint triste et pensif ; il restait le bras appuyé sur mon dos, et la tête appuyée sur sa main.
    Tout à coup son visage s'éclaircit.
    —Grand'mère, dit-il, voulez-vous me donner Cadichon ?
    La grand'mère :—Je te donnerai tout ce que tu voudras, mon cher petit, mais tu ne pourras pas l'emmener avec toi à Paris.
    Jacques :—Non, c'est vrai ; mais il sera à moi, et, quand papa aura un château, nous y ferons venir Cadichon.
    La grand'mère :—Je te le donne à cette condition, mon enfant ; en attendant, il vivra ici, et il vivra probablement plus longtemps que moi. N'oublie pas alors que Cadichon est à toi, et que je te laisse le soin de le faire vivre heureux.

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  • Commentaires

    4
    Mercredi 9 Février 2011 à 08:35
    Oo° Kri °oO

    Mon petit plaisir de ces matins... et en prime de jolies photos de reflets!!

    Bon mercredi!

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    3
    Mercredi 9 Février 2011 à 05:15
    le Pierrot

    Sympas les photos, bise matinale nathie, bonne journée...

    2
    Mercredi 9 Février 2011 à 05:06
    Anne d'AMICO

    J'avais tous les livres, ou presque, de la Comtesse de Ségur, née Rostoptchine (c'était toujours écrit sur les bouquins!) et je les ai lus, relus, re relus et re re relus..... et je relis volontiers cette histoire avec toi!

    Gros bisous Nathie!

    1
    Mardi 8 Février 2011 à 22:31
    ZAZA

    Ma petite lecture d'avant de fermer les écoutilles.... Merci Nathie. Bises et bonne soirée

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