• Le baron de Duingt fut ravi du succès de la démarche. Comme l’avait dit Allobrogine, il n’était qu’à demi convaincu de l’existence des fées. Mais Jehan était un garçon raisonnable, non pas l’un de ces rêveurs qui s’imaginent toujours voir ce que les autres ne voient pas. Il lui accordait confiance.

    - Tes amies les fées auront autant de beurre et de sel qu’elles en désirent ! acquiesça-t-il. Prie-les de commencer sans tarder.

    Le page aurait pu ne pas se déranger. Un elfe devait trainer par là qui, sans doute, courut avertir les fées car, s’en retournant à la grotte, le jeune homme rencontra nombre d’entre elles qui charriaient des pics, des cordes. Ces instruments-là fabriqués à leur mesure.

    Mais en même temps, elles tiraient aussi des troncs d’arbres que des bûcherons eussent eu de la peine à déplacer. Le messager ne s’étonna pas. Sa nourrice lui avait dit que les fées, si elles le voulaient, pourraient abattre un château fort.

     

     

     

    Annecy

     

    Le seigneur de Duingt exultait. De jour en jour, il voyait les pilotis affleurer de la nappe bleue des eaux et son page lui avait affirmé que, de l’autre côté du lac, un travail identique s‘accomplissait. Quand les pilotis se rejoindraient, il ne resterait qu’à y fixer des planches. Le pont serait construit.

    Ah ! Pourquoi ? Pourquoi prêta-t-il l’oreille aux propos de l’un des conseillers, un certain Arnodinus qui, jaloux de la faveur de Jehan, réveilla ses doutes :

    - L’on se joue de votre bonne foi, Monseigneur ! L’effronté page vous en fait accroire. Comment aurait-il sur les fées plus de crédit que vous n’en avez vous-même ? Les fées de la région sont à votre service, comme nous tous. Vous n’aviez qu’à leur imposer votre volonté. elles vous auraient obéi et il ne vous en eût pas coûté une once de beurre ni une poignée de sel. D’ailleurs ... Les avez-vous vues ramasser toutes ces provisions placées sur le rivage ? M’est avis que Jehan s’en empare pour les revendre bon prix.

     

    Le baron Jacques commença par repousser les insinuations du perfide. Puis il les discuta. Puis il y réfléchit. A la fin, son orgueil et son avarice se trouvèrent d’accord.

    Ayant fait comparaitre Jehan, il prononça d’un ton d’ironie terrible :

    - Avertis tes amies les fées que je suspends mes dons de beurre et de sel.

    - Oh ! balbutia le page qui voyait s’effondrer avec le pont ses espoirs amoureux. Mais alors ...

    - Elles travailleront désormais pour mon seul bon plaisir.

    Jehan se jeta aux genoux du Seigneur.

    Celui-ci, inflexible, poursuivait :

    - Quant à toi, remercie ton étoile. En souvenir de tes loyaux services passés, je te laisse la vie sauve. Pourtant tu mériterais la mort pour avoir fait commerce de ces vivres que tu m’extorquais. Tes protestations sont inutiles. On t’a vu, l’autre soir, parler à l’un de ces brigands qui infestent nos montagnes.

    Le pauvre Jehan ne parvint pas à se justifier. Il bredouillait, ne trouvait pas ses mots. Son maître le congédia durement :

    - Retire-toi de ma vue. Quitte ces lieux que ta présence déshonore. Va poursuivre chez d’autres ta vie de mensonge et de lucre.

     

    Titubant sous la honte, l’exilé sortit de la chambre seigneuriale. Alors, il se redressa. Il ne devait pas donner à ses ennemis le spectacle de son désespoir. Il comprenait bien qu’il était victime d’une cabale. Mais qui donc pouvait lui en vouloir à ce point ? Il fut tout aussitôt renseigné. Comme il traversait la première enceinte, il entendit un ricanement et se trouva face à face avec Arnodinus. A l’expression du bonhomme, Jehan ne douta pas que ce fût là son plus noir ennemi.

    - Vous sortez ? sussura le traître, rayonnant de haine satisfaite. Auriez-vous reçu convocation de la Princesse Allobrogine ?

    Ce ton persifleur exaspéra la colère du page qui dégaina. L’autre voulut en faire autant, mais il ne put tirer son épée. Son bras était frappé d’une paralysie soudaine. Sa main restait crispée sur le pommeau tandis qu’il se mettait à rugir comme un lion.

    Jehan alors replaça son épée au fourreau.

    - Je n’attaque pas qui ne peut se défendre.

    Cloué sur place, Arnodinus vociférait de plus belle, traitant Jehan de vendu au diable, jurant qu’il le ferait quelque jour appréhender et rouer à mort.

     

    La suite demain.

     

     

     

     

     


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  • Avant que l'hiver revienne en force. Si, si, la météo l'a prédit !

     

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     Les premières fleurs de mon jardin.


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  • Caracolant par la belle campagne sabaudienne, Jehan se dirigea droit vers la plus proche grotte des fées.

    De l’extérieur, c’était une grotte comme les autres.

    Mais l’adolescent savait qu’il ne se trompait pas. Ayant attaché son cheval à une anfractuosité du rocher, il pénétra sous la voûte de granit. Puis, il frappa doucement dans ses mains en prononçant les paroles que lui avait apprises sa vieille nourrice et qui signifiaient que l’on avait affaire à un ami. ( Je voudrais bien vous les répéter à mon tour. Hélas ! nous en avons perdu la formule. Je ne connais personne de nos jours qui soit capable de parlementer avec les fées ).

    Jehan n’attendit pas longtemps. Presque aussitôt, un elfe se présenta, qui était au service des fées.

     

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    Cher lecteur, avez-vous déjà rencontré un elfe ? Sans doute ! Mais peut-être l’avez-vous pris pour le reflet irisé d’une aile de libellule, pour la trace brillante d’une goutte de rosée ? Peut-être avez-vous, sans le vouloir, écrasé des elfes se balançant sur un brin d’herbe ? Le page du seigneur de Duingt, lui, ne pouvait faire pareille erreur. Etant enfant, il avait souvent joué avec les gracieux esprits des prairies. Il tint donc tout de suite à celui-là le langage qui convenait. Un langage également perdu pour nous, mais qu’il nous est permis de traduire selon le récit des Anciens :

    - Au nom de Haut et Puissant Seigneur de Duingt, je viens solliciter l’aide de Mesdames les Fées.

    - Allobrogine, notre Princesse, est justement en ses appartements. Suivez-moi, beau chevalier.

    Et le guide minuscule appuya sur une aspérité, presque imperceptible, de la voûte. Le rocher s’ouvrit, ses deux côtés s’écartant comme deux portes à glissières, qui se refermèrent derrière eux hermétiquement. Ils avaient pénétré dans un hall de bonnes dimensions dont les murs étaient de diamant, le plafond de turquoise et d’or. L’on n’y voyait nulle ouverture, cependant il y faisait grand jour. Sur le sol, s’étendait un tapis, frais et parfumé comme s’il eût été en duvet de fleurs.

    Sur le hall s’ouvrait une salle aux parois creusées d’alvéoles à peine plus grands que des alvéoles de ruches. Dans ces alvéoles, les fées de la classe laborieuse, toutes petites, s’affairaient à leurs tâches quotidiennes. Elles ne levèrent pas même la tête pour examiner le nouveau venu. Les unes broyaient les couleurs que d’autres, les artistes, iraient étendre, le lendemain, sur le calice des gentianes, des coquelicots, des primevères, des boutons d’or. Elles se servaient de mortiers qui ressemblaient à des cupules de glands en réduction. Celles-ci tissaient des filets en fil de la Vierge que l’on jetterait, à l’aurore, sur les prairies. Celles-là surbrodaient l’impalpable panache que secoueraient, à l’aurore, les torrents.

     

    Toujours conduit par l’elfe chambellan, le visiteur franchissait le seuil d’une troisième pièce dans laquelle se tenait Allobrogine, princesse de ces lieux.

     

     

    Reposant sur des coussins de nuages roses, elle avait la taille d’une femme moyenne. Mais elle était si belle que notre damoiseau en trembla de la tête aux pieds bien qu’il eût le coeur tout plein d’un seul amour.

     

    Il ne s’aperçut même pas tout de suite que la radieuse souveraine était entourée d’une vingtaine d’autres fées, plus petites mais presque aussi belles.

     

    - Que veux-tu, gentil garçon ? interrogea la Princesse des fées, redressant le buste. Parle sans crainte. Je sais que mon peuple n’eut jamais à souffrir par toi. On m’a rapporté avec quel soin tu évitais de fouler le sol où nos morts sont ensevelis.

     

    Elle faisait allusion à ces infimes tertres disposés par rangs parallèles que l’on voit, en haute montagne, aux croisées des chemins et qui sont les tombeaux des fées. Il était vrai que le page eût préféré courir le risque de glisser à l’abîme plutôt que d’y poser les pieds.

    - Parle ! répétait son interlocutrice. Que souhaites-tu de nous ?

    Il exposa les faits. Allobrogine l’écouta pensivement, puis déclara :

    - Le Seigneur de Duingt n’est pas, comme toi, de nos amis. Si j’en crois les langues, il irait même jusqu’à mettre en doute notre existence.

    - Madame !

    - Si ! Si ! Je le tiens de personnes dignes de foi.

    - Excusez-moi, mais ma démarche leur donne un démenti.

    - Que non ! assura l’immatérielle créature. Ta démarche prouve seulement qu’il désire beaucoup qu’on lui construise un pont. Tu lui as proposé notre concours. Il a accepté. Mais à la façon des sceptiques en se disant : «On verra, je ne serai pas moins avancé après qu’avant».

    Le visage du page se rembrunissait.

    S’il n’obtenait l’aide qu’il venait solliciter, quand reverrait-il les tresses blondes d’Ancilie ?

    Résolument, il avoua son idylle avec la nièce du Seigneur de Talloires et la Fée sourit:

    - Je le savais ! dit-elle. L’un de mes elfes a surpris, un soir, vos tendres adieux.

    Le page amoureux sentit la partie gagnée.

    En effet, la Fée promit que le pont, d’une rive à l’autre, serait élevé par l’industrie de ses spécialistes.

    - Tu as pu te rendre compte, en pénétrant dans mon palais, de l’art et de l’adresse qu’elles pouvaient déployer en matière de construction. Annonce à ton seigneur qu’il aura son pont.

    - Il vous en sera reconnaissant à jamais, Madame !

    - N’engageons pas l’avenir ! répliqua la Fée. Le coeur des hommes varie plus que l’air du temps. Je ne demande au baron Jacques qu’une chose pour prix de notre travail, une chose assez facile. Nous manquons de beurre, figure-toi, et nous en sommes friandes. Les paysans qui nous entourent sont rudes. Ils nous bousculent sans y penser quand nous nous approchons de leurs barattes. Le sel, aussi, nous fait défaut. Que ton seigneur nous pourvoie en beurre et en sel tant que durera la construction du pont. Tu peux lui dire que l’ouvrage sera terminé avant la troisième lune.

     

    La suite bientôt.

     

     


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  • Annecy

     

     

     

    Vous connaissez le village de Duingt, sur les bords du beau lac d’Annecy ? En face de Duingt, sur la rive opposée du lac, donc, s’élève Talloires.

    Jadis, le baron Jacques III, Seigneur de Duingt, fastueux seigneur comme tous ceux de Savoie, donnait en son château des fêtes splendides et y conviait son vis-à-vis le seigneur de Talloires.

    Puis, tout changea. Un deuil affreux étreignait le coeur de Jacques III. Le lac lui avait ravi sa fille un jour que, malgré la tempête menaçante, elle avait voulu faire une promenade en barque. La barque s’était retournée. Les flots avaient englouti la belle téméraire.

    En proie au désespoir, le baron fit serment de ne jamais plus voguer sur ces eaux qui étaient la tombe mouvante de son enfant bien-aimée.

    Tous les gens de sa cour, réglant leur conduite sur celle du Maître, l’imitèrent. Du plus noble d’entre eux au dernier des serviteurs, vous n’en eussiez décidé aucun à s’aventurer sur le lac.

    Il en résulta une grande gêne. Auparavant, il était facile de se rendre d’une rive à l’autre, ne fût-ce que pour une visite au seigneur de Talloires. Maintenant, il fallait contourner le lac et c’était toute une affaire.

    - Que n’édifiez-vous pas un pont ? suggéra, à son seigneur, un beau page ingénieux, qui avait nom Jehan.

    L’idée était bonne. Son exécution s’avérait plus compliquée. Un pont ! Le baron savait qu’il en existait de par le monde mais qui étaient l’oeuvre du diable. Il ne voulait pas d’un tel architecte !

    - Adressez-vous aux fées, Monseigneur ! dit le même page qui semblait fort désireux que l’accès chez les voisins d’en face redevînt aisé.

    Serait-il vrai qu’il courtisât la belle Ancilie, nièce du seigneur de Talloires ?

    Le baron devait en savoir quelque chose car il sourit finement, prévoyant que Jehan l’aiderait, de toute son habilité - qui était grande - à négocier avec les fées. Il accepta que le page se rendît en ambassadeur auprès de ces petites personnes - si charmantes pour qui sait gagner leur amitié.

     

    La suite demain.

     

     


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  • La rue de l'Evêché.

     

    Belley

     

    Devenue rue des Cordeliers.

     

    Belley


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